LES CHIENS SUBISSENT-ILS NOS VIES ?

Il était une fois, une chienne. Elle naquit avec de nombreux autres frères et sœurs dans une maison, chez une personne qui voulait à priori faire de l’élevage et qui pour le moment était à sa première portée. Lorsqu’elle eut 3 mois environ, 2 humains vinrent l’enlever à sa famille. Sa tâche sur le dos la différenciait des autres, elle avait l’air fripon mais si mignonne, c’est comme ça qu’ils la choisirent. Ces critères sont bien pauvres, superficiels, mais ils n’y reflechirent pas, tellement attendris par sa bouille. Elle ne le savait pas, mes ses humains n’avaient que peu de connaissances sur le chien, malgré qu’ils en aient toujours côtoyé. Leur naisseuse leur a dit que pour l’éduquer il fallait une main de fer dans un gant de velours, et que si elle n’était pas sage il fallait la retourner. « Elle s’y connaît en chien, on va l’écouter » ont-ils pensé. Heureusement, devant le regard terrifié de la chienne, ils ne la retournèrent que très peu, et ne réessaieraient plus tant leur cœur se serrait en le faisant.
Elle découvrit la vie en appartement, fut sortie très régulièrement et avait de belles balades le soir. C’était marrant de descendre dans les bras pour les escaliers, mais l’ascenseur ça faisait super peur au début ! Une fois sortie, elle avait le droit à toute une panoplie un peu pourrie il faut l’avouer : laisse enrouleur, collier, jouets, balle. Elle attirait tous les regards mais aussi toutes les attentions, elle fut forcée à être caressée sous le regard de ses humains, qui pensaient bien faire en voulant la sociabiliser. Elle voulait foncer sur tous les petits chiens alors on l’a très vite empêché d’en rencontrer. Elle avait très peur des plus grands, et ne pouvait pas partir à cause de la laisse alors elle subissait leur excitation, leur volonté de chevaucher, leurs impolitesses…

Un jour, après qu’elle ait vu s’empiler des cartons, elle changea de maison. Ses humains avaient voulu la rendre heureuse, en lui offrant ce qu’ils croyaient être nécessaire pour un chien : un jardin. Pour elle, ça n’était que des toilettes, une autre pièce de la maison, qu’elle voyait petit à petit se transformer en prison. Quelle idée reçue encore véhiculée par tellement de monde ! La plupart des chiens qui ont de graves problèmes de comportement ont justement un jardin, et n’en sortent pas… Mais ça, ils ne le savaient pas une fois de plus.

Doucement, tout s’est transformé pour ses humains, ça n’allait plus très bien. Chômage, problèmes de couple, mal être… Ceci additionné au fait d’avoir un jardin, au fait qu’ils n’aient pas de voiture et qu’elle soit interdite dans les transports en commun, les vraies balades avec de l’espace et des rencontres furent rares.

Un jour, de nouveaux cartons se sont empilés devant ses yeux. C’était à cause d’une séparation où, heureusement pour elle, il a été dur pour ses humains de décider chez qui elle restait car ils l’aimaient très fort tous les deux. Il n’est pas rare que les chiens soient abandonnés à ce moment-là car au contraire personne ne veut d’eux ou n’est en capacité de les prendre, elle a été chanceuse. Une fois la décision prise pour sa garde, elle se retrouva souvent seule pendant de longues journées. Son humaine travaillait loin, mais elle faisait tout pour avoir les moyens de vivre avec ses 2 chats et son chien.

Un chien dans ma vie, un nom choisi pas par hasard

Ce cocktail d’évènements maussades a conduit la petite chienne à être terrorisée par les inconnus. Après avoir été acculée par l’humain, puis n’en avoir plus rencontré, elle n’avait aucune raison pour les voir comme quelque chose d’agréable ou de normal. Elle devint aussi agressive avec les chiens, elle qui déjà ne savait pas partager avec eux faute d’apprentissage, elle n’était en plus plus capable de savoir communiquer avec eux et rencontrer. À ce qu’il paraît c’était dû à la race, en réalité c’était dû à un mélange de sensibilité, d’expérience, de manque de réponse à ses besoins, avec une pointe d’iné. Elle finit également fugueuse, destructrice et malpropre car ses besoins n’étaient pas comblés et que ses journées de solitude étaient trop longues. Elle n’avait plus aucune confiance en ses propres humains, eux qui jamais ne l’avaient aidé et qui avait eu des réactions totalement incohérentes et violentes (oui, retourner son chien c’est d’une extrême violence même s’il n’y a pas de coups ou de cris).

Cette histoire est commune malheureusement. Souvent, une fois le mal fait, on accuse le chien, on l’abandonne, on l’euthanasie. Souvent, on ne remet pas en question l’humain ou les conseils qui lui ont été donnés. Souvent, on ne cherche pas à comprendre les causes, et on cherche juste à régler les conséquences. Souvent, on ne se rend absolument pas compte que le choix du chien a été mal fait, que les raisons pour lesquelles l’adoption a été décidée étaient mauvaises (beauté, soit disant intelligence ou obéissance, originalité, capacité à pratiquer un sport, problèmes personnels, ou sauver le chien même lorsque notre mode de vie ne lui correspond pas). Souvent, on ne se demande pas ce que souhaiterait le chien, lui.

Un jardin, des jouets, de la nourriture, des calins et un canapé... Est-ce suffisant pour un chien ?

Par chance après toutes ses erreurs, l’humaine a changé. Elle est complètement folle pour certains, elle en fait bien trop pour « juste » un chien pour d’autres, elle est peut être utopiste, ou simplement quelqu’un qui assume ses choix jusqu’au bout même dans le pire et pas que pour le meilleur. Cette histoire je vous l’ai déjà racontée, sûrement un peu différemment. Cette histoire c’est la nôtre, celle de jounka et moi. Le jour où j’ai compris que ma chienne subissait ma vie je l’ai changée, pas la chienne non, mais ma vie, et moi avec. Je me suis passionnée de ces êtres complexes, riches, sincères et suis devenue éducatrice canin.

Bon, on n’est pas obligé de devenir comportementaliste pour régler nos problèmes avec notre chien, c’est sûr. Et je vous raconte différemment cette histoire pour une raison. Je me pose des questions : combien de personnes décident d’abandonner, faire placer,  changer de chien à cause de mauvaises décisions ? Combien de chiens ne vont pas être baladés, pas écoutés, maltraités à cause de l’absence d’informations, de conseils ou des recommandations absurdes ? Combien de personnes vont contacter un professionnel pour changer le chien et à aucun moment ils ne souhaiteront changer, eux ? Combien vont tomber sur des professionnels malveillants, qu’ils soient vétérinaires éducateurs, comportementaliste, éleveurs, vendeurs en animalerie qui vont faire empirer les choses ? Trop, beaucoup trop.

Je vois bien tellement de chiens qui ne correspondent pas à leurs humains, tellement d’humains malheureux, tellement d’humains qui prennent un chien et ne s’en occupent pas, et tellement de chiens malheureux. Ils ont été choisi parce qu’ils sont beaux, à cause de leur caractère décrit de manière très subjective, parce qu’ils sont à la mode, parce qu’ils sont soit disant « obéissants » ou « intelligents », parce que les gens en ont une image biaisée, idéalisée, ou qu’ils semblent correspondre à la pratique d’un sport. Prendre un chien pour ces raisons est une erreur que bien des humains paieront au prix de leur qualité de vie… Et ils ne seront pas toujours prêts à changer tout le nécessaire, ne seront pas toujours assez cohérent, ouvert, ou n’auront pas toujours assez de temps et de motivation pour faire qu’enfin leur chien soit bien dans ses pattes avec un humain heureux.

Malinois, Border, Berger australien, Husky, Akita, Jack russel, Chihuahua, Bouledogues, Podenco, Bourbons, Staffs, croisés et tellement d’autres chiens souffrent de notre manque de connaissance, de la sélection génétique sans réflexion, de notre égoïsme. Nous pensons avant tout à nous humain lorsque nous prenons un chien, mais nous devrions penser à nous humain + chien, au binôme que nous allons former. Nous ne devons pas penser juste aux câlins, à la présence, au sport, au regard des autres, au fait de le « sauver », mais à tout ce qui va changer pour lui en tant que chien, pour nous en tant qu’humain. Nous devons nous poser cette question avant d’adopter : mérite-t-il de subir notre vie ? Et si oui, serons-nous à tout faire pour lui offrir la vie qu’il mérite, avec le plus possible de liberté d’être un chien ? Pour une fois, je suis plus négative. Mais aujourd’hui, je me questionne vraiment sur la place qu’on accorde aux chiens dans notre vie, et sur nos motivations à les accompagner, autant que sur les leurs à être avec nous. Si vous lachez votre chien sans lui parler, si vous laissez le portail ouvert, reste-t-il avec vous ? Part-il ? Revient-il ? Si ça n’est pas le cas, il pourrait être intéressant de vous intéroger sur votre relation, et sur la réponse à ses besoins. 

Avoir un chien dans sa vie, c'est la partager avec lui et faire ce qu'il faut pour qu'il soit heureux avec nous.